Le Temps vom 16.12.2004
Albertine Bourget
Ce soir, la rencontre entre le FC Bâle et Feyenoord Rotterdam pourrait occasionner de nouvelles scènes de casse. Les fans du club rhénan comme ceux d'autres équipes suisses entretiennent des liens de connivence avec des hooligans étrangers. Dans la perspective de l'Euro 2008, les polices cantonales devront contenir le phénomène
L'étiquette de club à hooligans s'attache toujours davantage au FC Bâle. C'est peut-être la rançon de la gloire, mais aussi la conséquence d'une certaine complaisance envers la violence.
Cette réputation de méchants, les supporters bâlois ne l'acceptent pas. Ils sont encore sous le coup de l'opération montée le 5 décembre par la police zurichoise pour extraire des personnes suspectes du train spécial affrété à l'occasion d'un match contre Grasshoppers. Sur 650 passagers, 427 avaient été interpellés pour un contrôle d'identité. «Muttenzerkurve», l'association de fans de l'équipe rhénane, a annoncé mercredi que 256 de ses membres allaient porter plainte.
Ce soir, la revanche
Ce jeudi, les adeptes de la baston ont une occasion de prendre leur revanche: le FC Bâle reçoit Feyenoord Rotterdam. L'événement compte pour la Coupe de l'UEFA et les Bâlois doivent obtenir au moins un nul pour se qualifier.
Un autre match pourrait se jouer dans la rue. En théorie, le rapport de force est connu. Avec un millier de hooligans recensés, Feyenoord Rotterdam peut compter sur un mouvement de hooligans parmi les plus importants d'Europe. Ce soir, les supporters hollandais sont particulièrement redoutés car un grand nombre d'entre eux n'a pas trouvé de billets.
En face, le FC Bâle sert de bannière à des casseurs dont l'effectif varie selon les estimations entre une cinquantaine et une centaine. En Suisse, ils forment le noyau de hooligans le plus important. Sans doute parce qu'ils peuvent compter sur des renforts venus d'Alsace et d'Allemagne du Sud. Car dans le monde des vandales, les alliances se concluent par-dessus les frontières.
Porte-parole du club rhénan, Josef Zindel témoigne de son impuissance: «Nous ne savons pas qui sont ces gens, ni d'où ils viennent. On ne nous transmet ni données ni noms. En plus, leurs origines changent tout le temps: à Genselkirchen, lors du deuxième tour de la Coupe de l'UEFA, c'était des Néerlandais.»
Géopolitique de la bagarre
Ces supporters dialoguent volontiers sur Internet, et c'est par ce biais que «Le Temps» a pu approcher quelques-uns d'entre eux sous le couvert de l'anonymat.
«En tant que fan d'un club, on a des «amis» et des «ennemis», explique un supporter allemand. A Mannheim, nous avons de bonnes relations avec Braunschweig, Bâle et, de manière moins établie, avec Francfort. Les «ennemis» sont par exemple Kaiserslautern, Offenbach et Karlsruhe.» Au-delà, ceux de Mannheim ont conclu des alliances avec des supporters hollandais de Den Haag FC et des Juventini de Turin. En Suisse, les fans ultras de Bâle partageraient les amitiés du club de Mannheim avec Braunschweig et Magdebourg. Les supporters des Young Boys seraient proches de Saarbrück, ceux de Xamax avec Metz.
Pourquoi de telles alliances? Réponse du supporter allemand: «Ça dépend. Dans le cas de Mannheim, Bâle et Braunschweig, les origines remontent à de nombreuses années. Les contacts demeurent malgré le renouvellement des générations de fans.»
Le paradis des «hools»
Un supporter suisse confirme: «Cela fait longtemps que des amitiés transnationales existent dans le monde des tribunes. Dans les années 80 déjà, on voyait des Allemands en balade du côté de Berne, Zurich et Bâle. Pour que ces relations s'établissent, il suffit que des leaders s'apprécient après une rencontre dans un stade, ou qu'ils se découvrent des ennemis communs. Des liens individuels peuvent très vite s'étendre à un groupe, voire à toute une tribune.»
Pour les casseurs étrangers, la Suisse est une aubaine. Le supporter allemand reprend: «En Suisse, la scène des hooligans a grandi jusqu'à devenir un groupe important, une sorte de pouvoir. Le milieu qui gravite autour du FC Bâle n'aurait certainement jamais pu connaître la même évolution en Allemagne.»
L'internaute allemand s'explique: «Chez nous, les procédures contre les hooligans ou contre la «pyro» (ndlr: les flambeaux) dans les stades sont beaucoup plus sévères. On est confronté à une police spécialisée, à des unités de police surdimensionnées dans l'enceinte et autour du stade, à des Securitas dans les gares… C'est pour ça que de nombreux jeunes fans s'orientent vers la scène bâloise.»
Polices en chasse
Là encore, le supporter suisse est d'accord: «Les «hools» étrangers viennent passer un «bon moment» dans notre paisible Helvétie. Ses policiers sont moins rugueux que leurs homologues de l'étranger. En Suisse, ils peuvent s'amuser à moindre risque.» Polices et douanes ne sont pourtant pas inactives. Elles se renseignent. Patrick Gantenbein, porte-parole du Corps des gardes-frontière à Bâle, souligne que les grands matchs sont, à une échelle très réduite, des événements qui mobilisent les mêmes intervenants que la contestation du World Economic Forum de Davos. Aussi les Suisses sont-ils en contact avec la police du Bade Wurtemberg et la «Bundesgrenzschutz», la police des frontières allemande.
Il reste très difficile de recenser les milieux hooligans, qui se renouvellent rapidement. Mais leurs effectifs resteraient très limités. «A l'occasion du match entre Zurich et Bâle qui avait provoqué des échauffourées à fin octobre, nous avons été informés par la police allemande que dix à douze personnes avaient l'intention de venir en Suisse», relève Patrick Gantenbein. Mais certains Allemands seraient venus quelques jours plus tôt. Les voyages ne se prépareraient plus sur Internet, trop peu sûr, mais par téléphones portables.
L'Euro 2008 ne manque pas d'inquiéter les polices suisses. «D'autant qu'on réduit nos effectifs», se désole Patrick Gantenbein.